La profondeur de champ en photo

J'ai écrit cette page suite à quelques échanges dans fr.rec.photo à propos des formules permettant de calculer la profondeur de champ. Je donne ici la démonstration de ces formules. Je commence par démontrer une formule générale valable quel que soit le grandissement. Ensuite, je considère deux cas limites. Si le grandissement est suffisamment petit, on peut simplifier la formule générale et trouver la formule « classique » de la profondeur de champ. Si le grandissement est suffisamment grand, on peut faire une autre simplification qui conduit à la formule « macro » de la profondeur de champ.

Je remercie Jean-Pierre Sutto pour ses commentaires sur la première version de ce texte. Je lui dois en particulier la démonstration de la formule macro : la section formule macro est très fortement inspirée d'un message qu'il m'a envoyé.

Plan

  • Position d'une image ;
  • grandissement ;
  • tolérance de netteté ;
  • où les calculs commencent... ;
  • formule classique ;
  • formule macro ;
  • comparaison des cas limites.

  • Position d'une image

    On va se placer dans le cadre de l'optique de Gauss. On néglige la diffraction de la lumière ainsi que toutes les aberrations des lentilles. Dans ces conditions, une lentille donne de tout objet ponctuel une image ponctuelle. On va aussi supposer qu'on a affaire à des lentilles minces. Cette approximation n'est en fait qu'une commodité de représentation : tous les résultats restent valables pour des systèmes épais.

    Considérons la lentille de la figure ci-dessous. Ses foyers sont à la distance f du centre optique, f étant la distance focale. Pour situer l'objet et l'image, on va utiliser les formules avec origine au foyer (formules de Newton) que je trouve plus commodes que les formules avec origine au centre. Si m est la distance entre l'objet et le foyer objet, m' la distance entre l'image et le foyer image, on a :
    m × m' = f². (1)

    [Position et taille de l'image]

    Légende :

    Cette figure met en évidence trois propriétés des lentilles minces illustrées par le trois rayons représentés en rouge :

    Grandissement

    Le grandissement est le rapport de la taille de l'image à celle l'objet. Comme les rayons qui passent par le centre optique ne sont pas déviés, les deux triangles grisés de la figure ci-dessus sont semblables et le grandissement est le rapport de leurs tailles. Le grandissement vaut donc

    g = (f+m') / (f+m).

    Étant donné qu'un rayon qui atteint la lentille parallèlement à l'axe optique passe par le foyer image en sortant, on peut dire aussi que le grandissement est le rapport des tailles des triangles hachurés. Il vaut alors
    g = m' / f. (2)

    En fait, cette expression de g se déduit de la précédente par application de la formule (1). Si dans la première expression de g on remplace m par son expression tirée de (1), on trouve

    g = (f + m') / (f + f²/m') = m' / f.
    On peut aussi noter que (1) et (2) donnent
    g = f / m.

    Tolérance de netteté

    Venons-en à la profondeur de champ. On peut se convaincre facilement que si on met le film à la distance m' du foyer image (distance de mise au point), on n'aura nets que les objets situés à la distance m du foyer objet, m étant donnée par (1). Il n'y a donc qu'une distance qui procure une netteté parfaite.

    Pour pouvoir parler de profondeur de champ, on est obligés de permettre une certaine tolérance quant à la netteté de l'image. Dans une image floue, chaque point de l'objet donne un petit disque lumineux sur le film. On va considérer que l'image est nette lorsque le diamètre de ce disque est inférieur à une certaine tolérance e. La valeur qu'on donne à e est un peu arbitraire. Elle dépend du facteur d'agrandissement qu'on va appliquer après, de la distance d'observation de l'image finale ainsi que du fait qu'on soit plus ou moins exigeants sur ce point. En 24 × 36, on prend couramment

    e = 30 µm,

    mais il est raisonnable de prendre une valeur inférieure pour des travaux exigeants.

    Où les calculs commencent...

    La figure ci dessous représente le cas d'un objet ponctuel O qui se trouve à la distance maximale de netteté. La distance objectif/film a été réglée pour une prise de vue à la distance m. Le faisceau lumineux qui part de l'objet et qui traverse la lentille forme sur l'image un disque dont le diamètre vaut précisément e. On va calculer la distance d' qui correspond à la position de l'image.

    [Objet en limite de profondeur de champ]

    Les deux triangles grisés étant semblables, ils ont le même rapport entre leur hauteur (horizontale sur le dessin) et leur base (verticale). On peut donc écrire

    (m'-d') / e = (f+d') / D,

    D étant le diamètre du diaphragme, ce qui donne

    d' = m' - e × (f+d') / D.

    En utilisant la formule (1), on peut en déduire la distance maximale de netteté :
    1/d = 1/m - (e/f²) × (f+d') / D. (3)

    Par un raisonnement analogue, on peut trouver la distance minimale de netteté (dans ce cas, l'image I est derrière l'écran). On trouverait exactement la même formule avec un signe + à la place du -.

    On peut remarquer qu'on a toujours e << D, donc le petit triangle grisé est beaucoup plus petit que le gros. Dans ces conditions, on peut faire l'approximation (f+d') = (f+m') dans l'équation (3). En notant n = f/D le nombre d'ouverture et en remarquant que, d'après (2), (f+m') = f×(1+g), l'équation (3) peut se réécrire
    1/d = 1/m ± e×n×(1+g)/f²,
    (4)

    où le signe - correspond à la distance maximale de netteté et le signe + à la distance minimale.

    On peut remarquer que n×(1+g) est l'ouverture photométrique de l'objectif, elle tient compte du tirage. La formule qu'on a trouvée est valable quelle que soit la distance de mise au point, mais dans le cas où celle-ci est suffisamment grande ou suffisamment petite, on peut faire des approximations qui simplifient cette formule.

    Formule classique

    Supposons qu'on a une distance de mise au point suffisamment grande (m >> f) ou, ce qui est équivalent, un grandissement suffisamment petit (g << 1). Cette hypothèse signifie qu'on exclut le cas de la photographie rapprochée. Dans ces conditions, on peut remplacer dans (4) l'ouverture photométrique n×(1+g) par l'ouverture numérique n, ce qui donne

    1/d = 1/m ± 1/h,

    h = f²/(e×n) est appelée « distance hyperfocale ». C'est la formule la plus simple et la plus pratique pour la profondeur de champ.

    On peut remarquer que dans les mêmes circonstances on a m' << f, et donc 2 × f + m' << m. On peut donc remplacer dans les formules la distance entre le plan de mise au point et le foyer objet par la distance entre le plan de mise au point et le film. Ça veut dire en fait qu'il n'est pas très important de préciser par rapport à quoi on mesure les distances du côté de l'objet.

    Une application simple de la formule classique est la technique connue sous le nom de mise au point sur l'hyperfocale. Elle consiste à régler m = h, ce qui donne la zone de netteté la plus large possible, qui s'étend de h/2 à l'infini. Il est alors souvent possible de photographier sans faire de mise au point. Cette technique a été très utilisée en reportage avec des courtes focales à mise au point manuelle.

    Formule macro

    Si on tire d de la formule (4), on a

    d = m * 1 / [1 ± n×(1+g)×e×m/f²].

    Si on a une distance de mise au point suffisamment petite (m << h) ou, ce qui est équivalent, un grandissement suffisamment grand (g >> f/h = n×e/f), alors on peut développer la fraction ci-dessus au premier ordre et on trouve

    d = m ± n×(1+g)×e×m²/f².

    or m/f = f/m' = 1/g, donc

    d = m ± n×e×(1+g)/g².

    Cette formule est couramment employée en macrophotographie. On peut aussi l'écrire avec f²/h à la place de n×e.

    Comparaison des cas limites

    Nous avons vu que la formule classique s'applique à grande distance (m >> f) ou petit grossissement (g << 1), alors que la formule macro s'applique à petite distance (m << h) ou fort grossissement (g >> f/h). Ces deux domaines de validité se recouvrent largement puisque

    f / h = n × e / f = e / D << 1.

    Nous allons maintenant voir sur un exemple numérique comment se comportent ces deux approximations par rapport à la formule (4) considérée comme exacte.

    Formule exacte

    En guise de cas typique, nous allons supposer qu'on a un objectif de focale f = 50 mm diaphragmé à n = 8. La distance hyperfocale vaut alors h = 10,4 m. La figure ci-dessous montre la profondeur de champ en arrière plan et en avant plan calculée sans approximations d'après la formule (4). En abscisse est représentée la distance de mise au point m et en ordonnée les deux profondeurs de champ. Les distances sont en mètres. L'échelle des abscisses s'étend donc de 50 mm (où le grandissement vaut un) à 50 m.

    [Tracé de la formule exacte]

    On peut remarquer que la profondeur de champ est toujours plus étendue en arrière plan qu'en avant plan. Pour les courtes distances de mise au point, la différence n'est pas significative. Quand la distance de mise au point atteint h, la profondeur de champ en arrière plan devient infinie.

    Approximation classique

    Le graphique ci-dessus compare l'expression exacte de la profondeur de champ avec la formule simplifiée de l'approximation classique.

    [Tracé de l'approximation classique]

    On voit sur cette figure que l'approximation classique est très bonne pour les grandes distances de mise au point. L'erreur de cette formule ne devient sensible qu'à des distances inférieures à 20 cm environ.

    Approximation macro

    Pour terminer, le graphique ci-dessous compare l'expression exacte avec l'approximation macro. La courbe marquée « moyenne » est la moyenne des deux valeurs exactes. C'est donc la moitié de la profondeur de champ totale (arrière plan + avant plan).

    [Tracé de la formule macro]

    On remarque tout d'abord que la formule macro ne fait pas de différence entre l'avant plan et l'arrière plan. Cette formule est très bonne à courte distance mais commence à devenir fausse dès que la différence entre l'avant plan et l'arrière plan devient sensible. Ici cela se produit vers 2 m. Si on utilise la formule macro pour évaluer la profondeur de champ totale et non la profondeur de champ de chaque côté du plan de netteté, il faut utiliser la courbe « moyenne » comme référence. On voit alors que le domaine de validité de la formule est un peu plus étendu : les erreurs deviennent sensibles vers 5 m. La formule devient extrêmement fausse quand on s'approche de l'hyperfocale.


    Edgar Bonet <webmaster@edg...>.
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